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L’organisateur m’avait conseillé, pour rire, de mettre le pied dans un congélateur. Quelques minutes. Le temps que la barrière des vêtements soit démunie face au froid, que la peau se refroidisse, et que les orteils commencent à chatouiller étrangement. Honte à moi, je confesse que cette anecdote résume à elle seule ma préparation physique pour le raid vers le Spitzberg que j’ai effectué début avril. Mes deux footings hebdomadaires, totalisant 25 km par semaine huit semaines avant le départ, associés à de la marche au quotidien, m’avaient certes mis en condition mais l’hiver lyonnais est incomparable aux températures polaires.

 

Photo : La banquise au cœur du Spitzberg.

 

La destination

Ce dimanche-là, je me suis donc envolé pour Oslo puis Longyearbyen à 1300 km du pôle Nord, sur l’île norvégienne du Spitzberg, à la rencontre de la mer du Groenland et de l’océan Arctique, pour un raid à ski nordique. Avec en tête cette remarque de l’organisateur, « Grand Nord Grand large » : « la difficulté sera de vivre huit jours dans un congélateur ».

Le froid, je l’avais déjà expérimenté  au Népal lors de deux expéditions. En 2009, j’avais effectué un trek de haute altitude sur le Mera Peak, et en 2011 j’avais voulu affronter la Chulu Far East, un autre sommet de plus de 6000 mètres mais la fatigue m’avait stoppé à 5 300 mètres environ après avoir été bloqué à 4900 m plus de 36 heures, les autres avaient renoncé à cause de chutes de neige trop abondantes vers 5 600 mètres. Les cordes fixes avaient été recouvertes en moins de 24 heures. A l’époque, bien que médecin, je m’étais senti démuni. Et cette année encore, alors que je me suis formé à ces défis, j’ai eu mon compte de surprises. C’est bien le froid qui a été le plus difficile à gérer. Devoir vivre avec des températures allant de -20 degrés au plus chaud à -35 sous le vent, pendant huit jours, a été une épreuve. Le soir, nous ne rentrions pas nous mettre au chaud devant un bon feu de cheminée !

 

Photo : Descente à ski au cœur de la banquise.

Qui n’a pas rêvé d’une piste aussi large ?

 

 

Affronter le froid polaire

Chaque matin, sous la tente, la même sensation bizarre me saisissait : j’étais blotti dans mon sac de couchage et j’attendais en vain qu’un petit air tiède vienne m’extirper du lit. Je dormais avec un collant thermique et un pantalon polaire dans un sac de couchage en plume d’oie (dite européenne, le sac le plus chaud) doublé d’un épais sac polaire. Pour éviter la condensation, le tout était enroulé comme un cocon dans une gangue imperméable type K-way (Le mieux mais le plus cher est le sac type Gortex). J’avais du givre dans la barbe, sur le pourtour du visage. Mes joues étaient ankylosées, il fallait quelques minutes pour pouvoir articuler sans effort et ne pas mâcher les mots. Venait ensuite notre gymnastique du matin. Après la toilette aux lingettes alcoolisées -sans, elles auraient congelé-, le pari était d’enfiler un maximum de vêtements sans quitter le sac de couchage. Une fois parés, on enfilait vite nos chaussures canadiennes, les fameuses Sorel dont on avait sorti les semelles la veille. Si on les avait laissées dans les chaussures, avec l’humidité de la journée, elles auraient complètement gelé à l’intérieur. Deux congélateurs rien que pour soi…

Pour les mains, je portais deux paires de gants dans la journée (Une paire de sous gant chaude et une paire de gant polaire windstopper), et j’enfilais des gants en plume d’oie (Encore elle !) le soir ou à l’arrêt du ski nordique.

Mais l’autre bon remède au froid est la nourriture.

Photo : Notre camp avec en arrière-plan notre tente-mess.

 

 

 

L’alimentation

Chaque jour, nous ingurgitions entre 4 000 et 5 000 kilocalories. Et je n’ai pas pris un gramme. Tous les nutriments et la graisse sont, comme chez les animaux de ces contrées, utilisés à conserver la température du corps. Il réclame d’abord ce qu’il dépense : du sel et du gras et je me suis parfois surpris à rêver d’aliments qui sont loin d’être mes préférés. Au petit-déjeuner, sous la tente-mess, nous mangions des céréales hydratées de lait en poudre, des fruits secs, des biscottes Wasa, une bonne épaisseur de beurre quand il était décongelé et du cake. Dans la journée, grâce à la glace découpée à la scie puis fondue à la gazoline, nous avalions trois à quatre soupes en sachets, agrémentées de barres de céréales riches en arachides. Le soir, le dîner était un peu plus consistant mais inutile d’espérer mâcher des morceaux dans la nourriture lyophilisée, et pour les gourmets, sachez que les desserts n’ont rien de remarquable !

Un des risques important dans ce type d’expédition polaire est la déshydratation.

Comme en montagne, il faut boire très régulièrement et gérer au mieux ces précieux stocks d’eau, issue de la glace (pour un groupe de 9, comptez 5-6 heures de fonte de glace pour hydrater tout le monde ! Un vrai métier, géré de main de maître par notre guide Christophe).

En effet, un petit déficit hydrique entraîne une importante perte de force motrice et une grande fatigue.

Photo : Repas du soir au cœur de la tente-mess.

 

 

 

L’effort

Au Népal, les coolies (ou porteurs) s’occupent de tout: porter, monter les tentes, cuisiner, on est parfaitement assisté. En Norvège, l’organisation grignote la moitié de la journée. Faire fondre la glace et la neige est ce qui dévore le plus de temps, avec l’installation des tentes et l’édification d’une fortification de cubes de glace autour des tentes dont la tente messe, pour les protéger des vents polaires. Entre le lever, à 8 heures, les agapes et le rangement du campement, nous décollions à 11 heures. Grâce à nos chaussures canadiennes, nous chaussions des skis nordiques, une première pour moi ! Chacun de nous était équipé d’une pulka, un petit traîneau dans lequel on charge son matériel personnel et celui collectif, qui tient par deux élastiques accrochés à un harnais autour du bassin. Avec mes 20 kilos apportés de France, j’avais à tirer 35 kilos de matériel environ. Sur le faux plat ou sur des nappes de glace nettoyées de neige, il fallait fournir un gros effort pour tirer la charge ou ne pas tomber. Comme j’étais inexpérimenté en ski nordique, et que j’avais du mal à trouver mon rythme avec la pulka, j’ai dû tirer excessivement sur les dos et les épaules. En outre, mes chaussures étaient un peu trop larges, elles m’en ont fait payer le prix. J’ai mis plusieurs semaines à digérer physiquement l’ampleur de l’effort.

Photo : A la rencontre du glacier Tuna.

 

 

 

Le rythme

Le premier jour, nous avons fait 4 heures de ski, mais les quatre derniers jours, c’était au rythme de 6 à 8 heures que nous avancions au sein d’un fjord gigantesque, Templefjord, avec comme point de mire le glacier Tuna, haut de près de 50 mètres. Dans cette immensité blanche, et un silence impressionnant, les distances sont difficilement appréciables. Lorsque nous discutions, il m’est arrivé de dire « ce n’est pas très loin, allons-y » avec un enthousiasme et une candeur de débutant. Notre guide me rappelait alors l’ampleur de la tache, et du froid qui congestionne en 60 secondes dès qu’on ralentit la marche. Et puis… nous aurions pu tomber nez à nez avec un ours polaire. Quatre mammifères terrestres et marins vivent au Svalbard à cette période : nous avons croisé des rennes, plus petits qu’en Finlande (et certainement mieux adaptés au froid et aux vents violents), aperçu des traces de renards arctiques, animaux très craintifs, des phoques barbus, mais pas d’ours, le roi de la banquise, véritable marathonien des glaces qui peut parcourir plusieurs dizaines de kilomètres dans l’eau glacée par jour afin de trouver son repas. A cette époque, mars-avril, les femelles sortent de leur tanière après avoir mis bas en décembre, et jeûné pendant six mois. Leur instinct maternel et leur appétit peuvent aiguiser leur agressivité et les rendent encore plus dangereuses pour l’homme.

Photo : Me voilà équipé des skis nordiques, des bottes Sorel, de mes différentes couches thermiques et de ma pulka !

 

 

 

 

L’ours polaire, l’autre danger

Photo prise par Christophe, notre guide, lors d’une précédente expédition : Un ours passe à côté du camp…

 

 

Nous n’avons pas vu d’ours mais pendant tout le voyage nous avions en tête que le 5 août 2011, une attaque d’ours avait été fatale à un homme qui comme nous participait à un trek dans la région (un jeune Britannique de 17 ans tué et 4 autres blessés sur une équipe de 13 personnes qui campaient). C’est la dernière attaque mortelle à ce jour, sur un total de cinq depuis 1973, année où l’animal a commencé à être protégé.

Quelques années plus tôt, notre guide avait été suivi une journée entière par un ours dans Templefjord, histoire de bien lui montrer que nous sommes peu de chose alors qu’il est bien le seigneur de son royaume.

Les ours sont une menace permanente dans un archipel où cohabitent 2 600 hommes et 3 000 ours, il faut donc prendre des mesures de précaution pour tout déplacement hors des zones habitées. Notre guide disait que l’alarme de périmètre autour du camp est utile mais que le temps qu’on prenne conscience du « bip » qui résonne, l’ours est déjà sous la tente. Mieux vaut partir avec des chiens locaux, dits Groenlandais, qui aboient lorsqu’un ours passe aux abords du camp. Et il s’avère indispensable de posséder une arme. Notre guide, expérimenté, avait un fusil chargé de balles de 12 mm de calibre. J’étais quant à moi responsable du pistolet à fusées de détresse, utile pour faire fuir un ours trop curieux. Bien que l’ours soit protégé, on a le droit de lui tirer dessus s’il s’approche à moins de 10 mètres. Mais considérant qu’il peut mesurer 2 mètres de long et peser pour les mâles plus de 800 kilos, et que tout son corps est fait pour se mouvoir avec puissance sur la banquise, il faut encore de sacrés réflexes pour toucher sa cible à temps…

 

Avec du recul, je peux dire que ce fût pour moi une première expérience polaire très enrichissante et magique. Alors qui sait ? Peut-être le Groenland la prochaine fois ou alors peut-être à nouveau un peu de hauteur !

 

Récit du Dr Anthony VALOUR.

Un grand merci à Julie pour ses corrections et son œil professionnel.